Dogon

 

1 PRÉSENTATION

 

Dogon, peuple du Mali, vivant dans les falaises de Bandiagara, au sud-ouest de la boucle du Niger. Les Dogon constituent une population estimée à environ 600 000 personnes en 2000.

En raison de la richesse et de la vivacité de leur culture (en particulier leur vie religieuse et symbolique), les Dogon ont constitué un objet de fascination au moment de leur découverte, en 1931, par l’ethnologue français Marcel Griaule, dans le cadre d’une expédition organisée par le musée d’Ethnographie du Trocadéro — cette mission marque l’avènement de l’enquête ethnologique de terrain. Dès son arrivée en pays dogon, l’écrivain et ethnologue Michel Leiris, qui tient le journal de la mission, rend compte de l’omniprésence du sacré dans cette société aux conceptions animistes très élaborées : « Formidable religiosité. Le sacré nage dans tous les coins. Tout semble sage et grave. »

Cette fascination a abouti à la création de ce que les « antigriauliens » considère aujourd’hui comme un « mythe ethnographique », où les Dogon ont incarné le symbole d’une Afrique primordiale et pure. Elle a aussi indirectement contribué à faire du pays dogon (classé au Patrimoine mondial de l’Unesco) une destination touristique prisée, non sans compromettre l’authenticité de ses traditions.

 

2 HISTOIRE

 

D’après la tradition orale, les Dogon sont des descendants des Mandé de l’empire du Mali. Ils parlent toutefois une langue appartenant au groupe voltaïque de la famille nigéro-congolaise. Les nombreux dialectes, non totalement compréhensibles entre eux, ne semblent pas en outre indiquer une origine commune. Les Dogon se réfugient à partir du Xe siècle sur les falaises de Bandiagara pour échapper aux conquérants musulmans de la vallée du Niger, en particulier les Peul. Ils succèdent à une autre population aujourd’hui disparue et qu’ils respectent, les Tellem, dont on trouve les sépultures dans des grottes inaccessibles de la falaise qui domine la grande plaine s’étendant jusqu’au Burkina. 

Comme partout au Sahel, la disposition resserrée et perchée des villages révèle la nécessité de se défendre d’attaques ennemies. Au fil des siècles, les Dogon parviennent à plus ou moins résister aux puissants empires qui les assaillent (des Mossi et des Songhaï, au XVe siècle, aux Toucouleur au XIXe siècle). La colonisation française, en 1893, est synonyme de pacification : les Dogon abandonnent certains villages de la falaise pour s’installer dans la plaine.

Peuple d’agriculteurs, les Dogon sont contraints de tirer parti d’un environnement sahélien difficile, où l’eau est peu abondante. Ils vendent aux marchés de la plaine et aux pasteurs peul leurs surplus de céréales (mil, sorgho) et des oignons, contre de la viande, du poisson et du sel. Les sécheresses à répétition enregistrées à partir des années 1970 et la pauvreté endémique qui en résulte provoquent un important exode rural. De nos jours, des Dogon s’établissent dans les villes, émigrent dans les pays voisins, notamment sur la côte. Cet exode rural entraîne l’abandon progressif des coutumes et des croyances traditionnelles, un phénomène accentué par l’islamisation : nombre de Dogon sont aujourd’hui convertis à l’islam, même si celui-ci reste souvent superficiel, à l’image du reste de la vallée du Niger, qui a été sujette depuis de nombreux siècles à des « guerres saintes » lancées contre les populations islamisées par force ou par convenance.

Il n’en reste pas moins que certaines communautés perpétuent la religion animiste traditionnelle. Ses manifestations culturelles les plus spectaculaires, qui parfois frisent le folklore, entretiennent un tourisme important, qui n’est pas sans menacer l’identité dogon.

 

3 COSMOGONIE

 

Le peuple dogon se distingue en effet par la richesse et la complexité de sa cosmogonie. Celle-ci a été dévoilée à Marcel Griaule en 1946 par un vieux Dogon, Ogotemmêli. De ces entretiens, l’ethnologue a tiré un livre intitulé Dieu d’eau (1948), ouvrage de vulgarisation plus littéraire que scientifique. Ce travail en profondeur a été poursuivi par les élèves de Marcel Griaule (Denise Paulme, Germaine Dieterlen) et le cinéaste Jean Rouch. 

Les mythes fondateurs dogon expliquent non seulement l’origine de l’univers, mais également la structure symbolique dans laquelle tout élément de l’univers — partant l’homme et la société — devrait idéalement s’inscrire. L’ensemble est contenu dans son plus petit élément, un œuf primordial. La vibration à l’origine de l’éclosion du monde s’amplifie en une spirale représentée par un zigzag ascendant qui, à l’instar de la navette du métier à tisser, symbolise la continuelle alternance des contraires. La totalité de la nature, de la vie sociale, de l’esprit et de la matière correspond à un principe structurant unique.

Pour les Dogon, le dieu suprême, Amma, est le créateur de la Terre, dont il fit son épouse. Elle lui donna d’abord un fils, Yurugu ou le Renard pâle, être unique donc imparfait, qui ne détient que la première parole, révélée aux devins : la langue secrète — le sigi so — est celle des initiés. La Terre donna ensuite à Amma un second enfant, Nommo, à la fois mâle et femelle, maître de la parole qu’il enseigna aux huit premiers ancêtres des hommes, nés d’un couple façonné dans l’argile par Amma.

Les quatre-vingts niches qui ornent les façades des grandes maisons de familles dogon, appelées ginna, faites de pierres sèches recouvertes de banco (pisé) ou de briques d’argile crue, renvoient aux origines de l’humanité : elles symbolisent les huit ancêtres premiers et leur nombreuse descendance.

 

4 ORGANISATION SOCIALE

 

La société dogon est organisée selon une hiérarchie justifiée par leur cosmogonie. Aux quatre paires de jumeaux mythiques correspond la hiérarchisation politique et religieuse de la société dogon en quatre tribus conduites par les hogons, chefs religieux et politiques — du moins jusqu’à la colonisation européenne du Mali. La société est fondée sur la famille étendue patrilinéaire. Elle se structure également autour d’une hiérarchie distinguant les initiés et les non-initiés, les hommes et les femmes, les classes d’âge, les professions. Après la circoncision — acte rituel par lequel le principe féminin est ôté et qui trouve son contraire dans l’excision des jeunes filles — les garçons d’une même classe d’âge sont tenus de s’entraider. Il en est de même pour les filles.

Les forgerons, artisans et griots constituent des castes endogamiques, ne se mariant pas en principe en dehors de leur groupe, et comme souvent en Afrique, habitant des quartiers périphériques. 

 

5 ART ET ARTISANAT

 

L’artisanat dogon n’a pas seulement une vocation utilitaire ; il est aussi porteur d’une signification rituelle et, comme tel, est un transmetteur de culture et de savoir sous la forme de symboles compris par les individus selon leur degré d’initiation. Ainsi, le tissage de longues et étroites bandes de coton, pratiqué sur des métiers à tisser élémentaires, est considéré comme le premier art à avoir été enseigné à l’humanité. Les allers et retours incessants de la navette symbolisent la combinaison des contraires : mâle et femelle, terre et eau, mais aussi la parole transmise par Nommo aux premiers humains (les plus anciens vestiges de tissus teints africains ont été trouvés dans les sépultures tellem de la falaise de Bandiagara). 

Les statuettes et masques dogon, par lesquels l’Occident a découvert ce peuple, sont d’abord des objets religieux : les premières sont placées dans les sanctuaires familiaux pour honorer les êtres primordiaux et les ancêtres fondateurs ; les seconds sont portés par les danseurs lors des cérémonies religieuses publiques et secrètes (voir art d’Afrique noire). Cette civilisation matérielle célèbre pour ses masques a de plus en plus de mal à résister à la conjonction de la pression islamiste et des marchands d’art qui visent à déposséder les Dogon de leurs objets cultuels.