1 PRÉSENTATION
Peul (ou Foulbé, Foula, Fulani), population africaine disséminée sur une aire immense, en groupements plus ou moins importants, de l'océan Atlantique au Tchad, du Cameroun à la République centrafricaine.
Les Peul sont soit des éleveurs nomades qui se livrent exclusivement à l'élevage, soit des semi-nomades et des sédentaires, le plus souvent agropasteurs. On peut se demander quels critères il faut retenir pour définir une population de plus de 8 millions d’individus, répartis dans plus d'une quinzaine d'États : Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée, Sierra Leone, Mali, Burkina, Bénin, Togo, Ghana, Niger, Nigeria, Cameroun, Tchad, République centrafricaine, et aujourd'hui Côte d'Ivoire et Soudan. Les groupes sont toujours dispersés et vivent au contact de populations qui leur sont étrangères par la langue, par les traditions, par l'histoire et par l'économie. Ils occupent un immense espace est-ouest, au sud du Sahara, s'aventurant depuis quelques années en zone tropicale humide (Côte d'Ivoire, République centrafricaine). Cette dispersion a favorisé l'éclosion de sous-cultures, dépendantes des histoires locales et souvent isolées les unes des autres. L'ethnologue Marguerite Dupire distingue quatre grands blocs culturels : le bloc occidental (Sénégambie), foula (Guinée), central (Mali, Burkina), oriental (Nigeria, Niger, Nord-Cameroun, Tchad).
2 CRITÈRES DE CONVERGENCE
La langue (fulfulde) est souvent évoquée comme critère commun pour définir les Peul. Il existe des dictionnaires élaborés à la demande de l'Unesco, en vue de l'alphabétisation, comme le Dictionnaire élémentaire fulfulde français english (A. I. Sow, 1971). Dans ce dictionnaire, des lettres clés donnent l'origine du vocabulaire appartenant à treize dialectes : on s'aperçoit que les dialectes du fulfulde, influencés par les langues voisines, diffèrent les uns des autres à tel point qu'un apprentissage est nécessaire pour se faire comprendre. La langue est donc un critère important, mais insuffisant.
L'islam constitue un autre critère, car les Peul passent pour ses propagateurs, et dans les pays où ils dominent, les musulmans sont majoritaires. On ne peut qu'évoquer les guerres saintes (djihad) menées par les Peul au Macina au XVIIe siècle, au Fouta-Djalon au XVIIIe siècle. Il faut aussi signaler les grands réformateurs peul, tels Ousman dan Fodio qui, au début du XIXe siècle, a fondé par le djihad l'empire du Sokoto. À la même époque, la vague peul a propagé l'islam dans le Nord-Cameroun. Si l’on est tenté d'associer l'islam conquérant aux Peul, il ne faut pas oublier qu'à côté de ces convertis, les nomades peul, WoDaaBe et Mbororo, restent païens, vivant en petits groupes autonomes conduits par un guide (ardo) : ils préservent leur liberté, en marge des empires et des sociétés centralisées. Ainsi, l'islam ne constitue pas non plus le critère attendu.
L'élevage du zébu peut apparaître comme le critère commun majeur. Souvent, les traditions rapportent l'apparition d'un premier animal sortant d'une étendue d'eau. Le zébu possède une histoire, une généalogie parallèle à celle de l'homme : on lui a donné une robe unie, des cornes développées, souvent en lyre, grâce à des croisements attentifs et répétés. C'est un animal tant aimé qu'il donne lieu à d'innombrables poèmes lyriques dans lesquels le berger chante la beauté de son troupeau et son bonheur de le conduire. Le jeune berger reçoit une éducation très stricte : il doit être vigilant à l’égard des animaux dont il est responsable ; il doit aussi être attentif aux autres et permettre aux étrangers d'abreuver leurs troupeaux à son puits ; il doit, enfin, prêter des génisses — c’est la « vache d’attache » —, selon un contrat oral, et les veaux nés au cours de cette période appartiennent à l'emprunteur. Les descendants de ces veaux sont plus aimés que les autres, car ils sont le vivant témoignage d'une amitié partagée.
Ce dernier critère — l’élevage du zébu — est capital, mais insuffisant, car si le zébu reste l'animal peul par excellence, certains groupes sont des spécialistes du mouton, tels les Uda au Niger et au Nigeria. Enfin, de nombreux Peul se sont sédentarisés et ont abandonné l'élevage.
3 LE PULAAKU, UN CODE MORAL ET SOCIAL
La langue (fulfulde), la religion (l'islam), l'élevage du zébu, font partie de l'héritage des Peul, mais chacun de ces critères — ou même les trois réunis — ne permet pas de définir leur identité. Par contre, les Peul se reconnaissent par un code accepté par tous et qui constitue le lien qui les unit lorsqu'ils sont dispersés et qu'ils se trouvent aux côtés de sociétés différentes, paysans bambara ou haoussa, éleveurs maures, touareg ou toubou.
Ce code, le pulaaku, décrit le comportement attendu du Peul, et il lui est enseigné par sa famille dès son enfance. C'est une coutume qui exige, avant tout, la réserve, la retenue et la maîtrise de soi. Ce comportement codifié permet aux Peul de se distinguer de leurs voisins non peul. Cette réserve s'accompagne de qualités de sobriété, de courage et d'intelligence. C'est tout à la fois un ensemble de qualités héritées et un rôle que le Peul joue devant les autres. Mais cette absence de spontanéité, cette retenue, disparaît entre « parents à plaisanterie », « cousins croisés » de nombreuses sociétés africaines, ou entre parents utérins. En se contrôlant, le Peul a l'impression d'être libre et cette liberté lui est nécessaire pour participer à la vie socio-politique.
La différence entre les Peul et les autres peut être perçue dans l'image négative qu'ont d’eux les populations qu'ils côtoient. On les accuse d'être des voleurs, des menteurs, des magiciens dangereux. Nomades, vivant avec leurs troupeaux de pâturages naturels, on les rejette dans le règne animal, puisqu'ils vivent d'une nature non domestiquée. Mais c'est justement l'éducation qu'ils reçoivent qui leur permet de vivre en accord avec les autres pasteurs, avec les animaux et avec la nature qu'ils utilisent sans la cultiver.
L'éducation initie les jeunes au pulaaku, à la Voie peul qui est un véritable code pastoral qui s'incarne dans l'élevage des vaches, aussi bien que des moutons. « Mais cette éducation, elle aussi, obéit à une réglementation : ne peut la dispenser que le berger qui a, d'ancêtre en ancêtre, hérité de la Voie des moutons (ou des vaches), devant et derrière (autrement dit « de père et de mère ») ; c'est-à-dire que les grands-parents de ses grands-parents sont enfants de berger éduqué, la mère de sa mère une fille de berger éduqué, ainsi de suite jusqu'à ce qu'on en arrive à son père et à sa mère, jusqu'à lui : tel est le berger habilité à dispenser l'éducation. » (Laya, 1984).
4 LE PEUL PASTEUR ET LE PEUL CULTIVATEUR
L'histoire montre que les Peul ont conquis des régions, soumis des populations, introduit l'islam. Au Fouta-Djalon, ils ont créé un État théocratique au XVIIIe siècle et sont devenus les maîtres du pays en s'installant dans le haut plateau, le plus propice à l'élevage. Sédentarisés, ils sont restés des Peul. Mais la conquête du Sokoto par Ousman dan Fodio et la réforme religieuse qu’il y a menée, au début du XIXe siècle, ont abouti à ce paradoxe : la perte de l’identité des Peul — et de leur langue en particulier — et le triomphe de la culture des populations haoussa conquises ; en somme, l'absorption des vainqueurs par la masse des vaincus.
L'image attachée au Peul est celui d'un pasteur, incapable de s'adonner aux travaux des champs. On distingue souvent les WoDaaBe (Niger) et les Mbororo (Cameroun), pasteurs nomades dont l'élevage constitue l'activité essentielle, des Foulbé, également éleveurs, mais surtout agropasteurs, dont l'économie plus souple évolue au gré de phases sèches ou humides : ces Foulbé ont la capacité de s'investir dans l'élevage, dans l'agriculture ou dans le commerce et de favoriser l'une ou l'autre de ces activités en fonction des circonstances (crises climatiques, politiques ou économiques).
Malgré la diversité des situations, les Peul sont toujours identifiés et reconnus comme faisant partie d'une même communauté. Cette diversité rend très difficile leur analyse, tant il faudrait multiplier les exemples pour approcher la réalité. Il faut cependant réaliser que cette société est en perpétuelle évolution, que des migrations sont en cours, telles celles du Tchad en République centrafricaine ou du Mali en Côte d'Ivoire. Quitter une zone aride pour gagner une région humide n'est pas sans risques pour les troupeaux et s'accompagne de changements dans l'économie et dans le mode de vie. Ces exemples de mobilité dans l'espace et dans la gestion des troupeaux et dans la stratégie prouvent une capacité d'adaptation remarquable.